ÉDUCATION - Économie de l’éducation

ÉDUCATION - Économie de l’éducation
ÉDUCATION - Économie de l’éducation

Les économistes n’ont jamais complètement ignoré le rôle de l’éducation. Au XVIIe siècle, William Petty calcule la «valeur» d’un homme: relevant le rôle des facteurs qui conditionnent la productivité de la main-d’œuvre, il ouvre implicitement la voie aux analyses ultérieures rangeant l’éducation parmi ces facteurs. Aux siècles suivants, de grands économistes (A. Smith, K. Marx, A. Marshall) ont souligné l’influence de l’éducation sur l’efficacité économique du facteur travail et raisonné à son sujet en termes d’investissement et de capital. Mais «l’économie de l’éducation» ne fait guère son apparition avant 1960, marquée par la publication d’un nombre important d’études – surtout en langue anglaise – dans lesquelles l’économiste applique de manière systématique à l’éducation ses instruments d’analyse et ses critères d’appréciation. Cette intrusion de l’économique dans le domaine de l’éducation a une double signification.

L’accent mis, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur la croissance économique a conduit à affiner l’analyse des processus qui la déterminent. Des études économétriques ont montré que le résultat de l’activité économique (produit national brut) était dû non seulement à l’apport combiné de facteurs traditionnellement identifiés (ressources naturelles, travail et capital) mais à l’amélioration de la qualité de ces facteurs. L’éducation contribue de manière importante à cette amélioration: directement, par la formation générale et professionnelle des hommes; indirectement, par les connaissances scientifiques et techniques nouvelles applicables aux moyens matériels utilisés. Portant sur le travail et sur le capital, les effets de l’éducation seraient comparables à ceux d’un investissement.

La reconnaissance du droit à l’éducation (Déclaration universelle des droits de l’homme), les efforts de diffusion et de démocratisation de l’enseignement qui en découlent ont considérablement accru la part des ressources nationales affectées à l’éducation dans la plupart des pays. Les charges liées aux activités éducatives justifient d’appliquer à leur organisation les principes majeurs de la rationalité économique. Le système éducatif fonctionne-t-il de manière à limiter les gaspillages de temps, d’énergie et de compétence? «produit»-il des individus qui, par leur formation, trouveront place dans la société et sauront accroître son dynamisme économique? Grâce à des notions comme celles de productivité, de rentabilité, de planification – même si certaines réserves ont été exprimées à l’endroit de leur application à l’éducation – , le raisonnement économique permet d’aborder de façon plus rigoureuse l’analyse de ces problèmes et de leurs solutions. Une préoccupation s’est développée, qui n’impliquait pas l’abandon d’autres préoccupations plus traditionnelles, l’éducation devient un objet de politique économique.

Analysant les activités éducatives, l’économiste s’attache à les appréhender comme un ensemble cohérent qui vise à transformer des facteurs pour obtenir des produits. Les conditions de cette transformation, ses effets économiques, la stratégie générale du meilleur emploi des facteurs rares consacrés à l’éducation: tels sont les principaux centres d’analyse de l’économie de l’éducation.

1. Éducation et analyse de systèmes

Il s’agit de présenter la diversité des activités éducatives selon un schéma faisant apparaître l’interaction des phénomènes en cause, les objectifs qu’ils visent, les voies d’une intervention en vue de meilleurs résultats.

L’analyse de systèmes

L’analyse de systèmes est une méthode d’identification et de mise en forme des problèmes, procédant par l’examen systématique des objectifs, des donnés, des processus et des résultats, de manière à fournir à ceux qui prennent les décisions les informations nécessaires en vue de leurs choix. Elle se propose donc d’ordonner une réalité complexe en la considérant comme un système, c’est-à-dire un ensemble d’objets caractérisés par des propriétés et un ensemble de relations entre ces objets. Elle s’applique à des problèmes incomplètement structurés et pouvant comporter simultanément des éléments quantitatifs et qualitatifs.

Le système d’enseignement

Au prix d’un certain effort d’abstraction, les activités humaines organisées, donc l’éducation, peuvent être analysées comme des systèmes.

Isolé de son contexte, un système d’enseignement peut commodément être considéré comme une organisation de production. Le système reçoit des flux d’entrée ou inputs (hommes, connaissances, moyens matériels et financiers), les soumet à des activités de transformation (processus éducatifs) en vue de certains objectifs qui doivent normalement être atteints grâce aux flux de sortie ou outputs (élèves quittant le système). Les principaux éléments ou composantes d’un système donné d’enseignement sont:

– au niveau des fins, les objectifs assignés au système et caractérisant la politique d’éducation; ces objectifs correspondent à des options faisant une place variable aux différentes finalités de l’éducation: culturelle (transmission des connaissances et modes de comportement par lesquels la société reconnaît l’homme cultivé), sociale (intégration de tous dans le corps social par uniformisation des valeurs morales, des connaissances, des catégories intellectuelles), économique (préparation, quantitativement et qualitativement adaptée, des individus à la vie professionnelle);

– au niveau du cadre institutionnel, les principes et rythmes de circulation des élèves (niveaux et types d’enseignement, règles d’admission, de notation, de progression), les principes de direction et de gestion des différentes unités d’enseignement;

– au niveau des moyens de fonctionnement, les élèves en cours de scolarité, les méthodes pédagogiques et le contenu de l’enseignement, le personnel enseignant et administratif, enfin les locaux et équipements.

Ordonner ces divers éléments en un système, c’est souligner que tout changement affectant l’un d’eux remet en cause d’autres éléments, souvent à différents niveaux. Ainsi une modification des méthodes pédagogiques peut entraîner la révision de certaines fins, nécessiter des aménagements institutionnels, modifier la combinaison des moyens de fonctionnement. Toute appréciation de la marche du système d’enseignement et des mesures à prendre pour l’améliorer ou faire face à des modifications dans ses objectifs suppose un examen logique des rapports qui existent entre les composantes essentielles du système.

Réintégré dans son environnement humain, culturel, social et économique, un système d’enseignement soulève des questions relatives à l’origine des inputs et à l’emploi de l’output , aux conséquences de changement affectant les inputs et les outputs .

Les inputs varient souvent sous des influences sans lien étroit avec le système lui-même et font peser sur lui des contraintes. Il s’agit surtout des hommes (facteur démographique et variations de la demande sociale d’éducation) et des moyens de financement soumis à la concurrence des différents besoins collectifs. L’output de connaissances et d’individus formés doit, en principe, répondre aux besoins de la société. Il convient donc que les objectifs du système reflètent les besoins de formation et les aspirations de la collectivité.

L’environnement d’un système d’enseignement est normalement constitué par la collectivité nationale à laquelle son fonctionnement le rattache à l’amont (input ) et à l’aval (output ). Il existe également un environnement international, accessoire pour les pays industrialisés (exode des cerveaux), mais important pour certains pays en voie de développement (assistance technique par accueil de maîtres ou envoi d’étudiants).

2. Le système d’enseignement, organisation de production

Parler de production en ce domaine risque de choquer de très nombreux esprits attachés à un idéal qualitatif de l’éducation. Mais la perspective économique n’en est qu’une parmi d’autres. Justifiée par un souci d’efficacité, elle n’ignore pas que tout produit se signale par des qualités autant que par des quantités.

Les produits du système d’enseignement

Les processus caractérisant le fonctionnement d’un système d’enseignement déterminent la fourniture de services et non de produits matériels. Des produits annexes (logement, nourriture, hygiène, transports, etc.) peuvent être fournis par le système mais ne constituent pas une production spécifique de celui-ci. Il s’agit, en fait, de consommations intermédiaires qui contribuent à l’efficacité du processus de transformation. Ce dernier fournit:

1. Des produits abstraits : les connaissances nouvelles issues de la recherche universitaire. Ces produits sont souvent difficiles à individualiser. Ils peuvent toujours être mesurés par la consommation de facteurs qu’ils entraînent, parfois par leur valeur marchande (recherche par contrat). L’appréciation de l’efficacité de l’activité de recherche, qu’elle émane du système d’enseignement ou de toute autre source, demeure un problème très délicat.

2. Des produits «incarnés» dans les individus . Cette production, de très loin la principale, résulte de la fourniture de services transmettant ou développant des connaissances, des attitudes intellectuelles, des modes de raisonnement. On peut synthétiser ces services en disant qu’ils constituent un savoir. Mais une difficulté essentielle réside dans la distinction entre:

– le savoir transmis: l’accent est mis sur l’émission de savoir, réalisée par le processus éducatif. L’identification du produit est alors particulièrement malaisée. En fait, seules les charges requises par la fourniture du produit peuvent être connues de façon relativement précise. Cette optique privilégie la notion de coût;

– le savoir acquis: l’accent est mis sur la réception du savoir. Le produit s’identifie alors aux élèves fréquentant le système. Les modalités de contrôle des aptitudes et connaissances en vigueur sont présumées témoigner du savoir acquis: elles requièrent généralement une durée minimale de fréquentation du système.

Si les individus ayant reçu une formation ne sont pas en eux-mêmes des produits marchands, il existe cependant un marché des compétences.

La productivité du système d’enseignement

Dans toute activité de production, on se préoccupe de mesurer la relation entre produits réalisés et facteurs utilisés, et plus généralement l’évolution de cette relation au cours du temps. Dans cette perspective, les facteurs sont des données et on ne s’interroge pas sur l’emploi des produits. L’intérêt se porte sur la manière selon laquelle sont combinés les facteurs: l’amélioration de la productivité reflète l’économie des moyens pour un résultat donné. La productivité du système d’enseignement est dominée par le phénomène des déperditions scolaires qui reflètent des inadaptations diverses du processus pédagogique. Les abandons en cours d’études constituent une perte nette quand ils interviennent avant un certain niveau (par exemple, risque de désalphabétisation dans les pays en voie de développement). De même, les redoublements majorent la consommation de facteurs pour un résultat donné.

Le calcul du taux de déperdition par redoublement soulève un problème d’informations statistiques. On connaît mieux le taux de déperdition apparente que celui de déperdition réelle. Le premier, pour un cycle scolaire donné, de durée n années, est le rapport entre l’effectif du dernier cours (ou les diplômés) et celui du premier, n années auparavant. Mais dans les deux termes du rapport figurent des redoublants. Le taux de déperdition réelle les élimine. Toutefois, pour calculer ce taux, qui est le plus significatif, il faut connaître la carrière scolaire précise de chaque élève, information qui, le plus souvent, n’est pas disponible.

Mesurer la productivité, c’est faire le rapport entre le produit (élèves formés ou diplômés) et un, plusieurs ou la totalité des facteurs nécessaires pour l’obtenir. Les expressions qui peuvent être calculées sont seulement des indicateurs de la productivité et non une mesure rigoureuse et intégrale de celle-ci. Une des expressions les plus simples est le taux de rendement, complément à 100 du taux de déperdition (si ce dernier est de 40 p. 100, le premier est de 60 p. 100).

Les coûts de l’éducation

Les coûts de l’éducation permettent d’apprécier la consommation des facteurs, exprimée non plus en quantité mais en valeur. Celle-ci est obtenue en multipliant les quantités par des prix. Le jeu des prix introduit des «effets de marché» étrangers à l’efficacité de fonctionnement interne du système, comme cela peut arriver pour toute organisation de production.

Les expressions du coût

Les expressions du coût sont très diverses. Si, considérant que l’éducation est un service public, on se limite aux coûts pour la collectivité, on distingue surtout:

– Les coûts totaux, soit l’ensemble des dépenses sur une période donnée. L’accent est mis tantôt sur le destinataire de la dépense (par exemple, coût des différents niveaux et types d’enseignement), tantôt sur la nature de la dépense (par exemple, coût en capital et coût de fonctionnement).

– Les coûts unitaires, soit les coûts totaux rapportés à une quantité déterminée. On retient particulièrement le coût au mètre carré pour les constructions scolaires d’un type spécifié, le coût par élève inscrit dans un cycle déterminé, le coût par diplômé, qui reflète le prix de revient d’un «produit fini», mais peut être traité différemment selon que l’on affecte ou non au diplômé le coût des déperditions scolaires, le coût par maître.

Analyse économique des coûts

L’analyse économique des coûts peut viser deux fins distinctes.

D’une part, elle contrôle la gestion du système en comparant ses conditions de fonctionnement avec certains indicateurs. La perspective est celle du diagnostic. L’analyse classique du coût de production repose sur la comparaison de celui-ci à la valeur commerciale du produit obtenu. Cette référence à la valeur commerciale est-elle pertinente? Sans doute peut-on dire (cf. infra , la rentabilité des dépenses d’éducation) que les produits de l’éducation incarnés dans l’individu se négocient sur le marché du travail. Mais, outre le fait que ce marché ne sanctionne pas uniquement et directement les compétences et connaissances acquises grâce à l’éducation, il existe une dissociation entre celui qui supporte le coût (la collectivité, pour une part importante) et celui qui «vend le produit» (l’individu formé). Dès lors, on peut considérer que les produits de l’éducation sont hors marché. Dans cette perspective, le système d’éducation ne fonctionnant pas en principe en vue du profit, l’analyse des coûts de l’éducation met l’accent sur la comparaison des coûts entre eux (dans le temps ou l’espace). La difficulté est de trouver des normes empiriques en fonction desquelles on puisse exprimer un jugement: ainsi la comparaison internationale entre systèmes voisins peut-elle conduire à retenir la relation selon laquelle le coût unitaire de l’élève inscrit dans l’enseignement supérieur est respectivement 3 et 7 fois supérieur à celui d’un élève du second ou du premier degré; la structure des coûts par niveaux d’études peut être jugée en fonction de cette norme. Bien entendu, celle-ci a une valeur toute relative: elle a plus la signification d’une norme sociale (on peut faire un parallèle avec les différents types de dépenses de santé), susceptible d’évoluer dans le temps, que celle d’une norme technique.

D’autre part, l’analyse économique des coûts prévoit l’incidence financière d’une évolution spontanée ou orientée du système d’enseignement. Tout plan, en matière d’éducation, quel que soit son degré de volontarisme, ne peut être réaliste que si l’on chiffre les charges qu’il implique et si on confronte celles-ci avec les disponibilités financières prévisibles. L’analyse des coûts prévisionnels facilite l’énoncé des types d’interventions pouvant réaliser un équilibre (agir, par exemple, sur le taux de rémunération des maîtres, sur le rapport maître-élèves, etc.).

3. Le système d’enseignement instrument d’investissement

Parler d’investissement à propos de l’éducation, c’est analyser les effets de celle-ci sur l’économie. L’éducation joue un rôle positif sur la production et, par là même, sur les revenus qui en découlent. Cette perspective, qui est celle qui a le plus retenu l’attention des économistes, surtout dans la littérature anglo-saxonne, débouche sur deux orientations principales.

La rentabilité des dépenses d’éducation

Pourquoi ne pas appliquer à la dépense d’éducation les analyses classiques en matière d’investissement matériel? Celles-ci s’attachent à calculer un taux de rentabilité de la dépense, le choix entre plusieurs types de dépenses étant alors guidé par la comparaison des taux de rentabilité correspondants. Cette démarche a été particulièrement illustrée par les travaux d’auteurs anglo-saxons, tels T. Schultz, G. S. Becker, G. Psacharopoulos, M. Blaug, suivis, quelques années plus tard, d’auteurs français au premier rang desquels J. C. Eicher et L. Lévy-Garboua.

Rentabilité de l’éducation pour l’individu

L’individu qui envisage de prolonger ses études au-delà de la scolarité obligatoire se demande, dans cette optique, si des études supplémentaires lui rapporteront plus qu’elles ne lui coûteront. Pour cela, il lui faut comparer coûts et gains supplémentaires en prenant soin d’actualiser les uns et les autres par un taux d’escompte approprié (une somme disponible à terme a moins de valeur que la même somme disponible immédiatement). Cependant, le supplément de revenus attendu d’études prolongées peut, d’une part, s’apprécier à partir de la constatation qu’en moyenne plus longues sont les études plus le montant total des revenus perçus au cours de la vie active est élevé. Ce n’est évidemment qu’une constatation moyenne: l’individu doit être conscient de son caractère aléatoire s’il l’applique à son cas personnel. D’autre part, le supplément de coût comporte non seulement les débours qu’entraînent les études, mais encore le manque à gagner du fait de la poursuite de celles-ci (entrer tout de suite dans la vie professionnelle permettrait de percevoir un revenu).

Rentabilité de l’éducation pour la collectivité

La rentabilité pour la collectivité se calcule selon les mêmes principes; les compensations statistiques qu’autorisent les grands nombres permettent même de penser que le calcul est plus légitime. Ainsi Becker, dans les années soixante, avait calculé qu’en 1940 et 1950 le taux de rentabilité des dépenses d’enseignement supérieur (population américaine urbaine de sexe masculin et de race blanche) était de 9 p. 100 contre 8 p. 100 pour les investissements industriels. D’autres travaux concluaient dans le même sens.

De tels calculs n’en suscitent pas moins d’importantes réserves. La démarche en cause est en apparence séduisante: comparer les valeurs actuelles des coûts et des gains supplémentaires pour la collectivité liés aux ressources consacrées à l’éducation considérée comme un investissement. Mais il s’y attache toutes les incertitudes qui caractérisent la décision d’investissement matériel. Celles-ci sont renforcées par les imperfections du marché de l’emploi, qui peuvent durablement remettre en cause la liaison entre durée et type de formation, d’une part, niveau de revenu, de l’autre, ainsi que par le fait qu’il est difficile de dire quelle fraction de la dépense d’éducation correspond à un investissement, quelle autre à une consommation. De plus, dans la majorité des cas, les calculs effectués intègrent dans les coûts le manque à gagner. Dans les années soixante et au début des années soixante-dix, la quasi-unanimité des auteurs considéraient cette intégration comme nécessaire. Un des chefs de file incontestés de l’analyse néo-classique en ce domaine, T. W. Schultz, procédant à des évaluations pour plusieurs pays, concluait (dans les années 1960) que le manque à gagner représentait une part voisine de 60 p. 100 du coût total de l’enseignement du second degré ou de l’enseignement supérieur. Or, le manque à gagner (concept économique de coût d’opportunité) fait, à l’échelle nationale, l’objet de diverses critiques: quels seraient les gains effectifs des intéressés si tous ceux qui poursuivent leurs études décidaient d’entrer dans la vie active? Quelles occasions d’emploi leur offrirait l’économie? Ces critiques ont fini par prévaloir et, en 1980, deux jeunes auteurs français, B. Millot et F. Orivel, pouvaient mentionner «la critique maintenant classique selon laquelle l’inclusion du manque à gagner est définitivement illicite au niveau macro-économique» et se demander si, au niveau micro-économique, le manque à gagner est «additionnable aux coûts directs pour donner le coût total» ou s’il n’est pas plutôt un procédé alternatif d’évaluation de ces coûts directs.

Les suppléments de revenus de ceux qui prolongent leurs études sont imputables non seulement à l’éducation, mais aussi aux qualités innées. Or, ce sont généralement les individus «les plus doués» et ayant le plus de motivations qui poursuivent leurs études, sauf influence de l’appartenance sociale.

Au niveau de la collectivité, un calcul de rentabilité doit certes tenir compte des gains directs de l’éducation appropriés par chaque individu, mais aussi des gains indirects dont bénéficie la communauté. Ainsi, la formation d’un ingénieur valorise le travail de ceux qui sont sous ses ordres. C’est un problème d’économies et de «déséconomies» externes qui explique que l’on ait envisagé d’appliquer à l’éducation les principes de l’analyse «coût-avantage» (A. R. Prest et R. Turvey) par laquelle on s’efforce d’évaluer l’ensemble des coûts et des avantages, directs aussi bien qu’indirects, monétaires ou non, de projets tels que la construction d’une route ou d’un barrage.

Certains ont pu cependant montrer quelque scepticisme face à ces recherches de rentabilité. Un courant de pensée remet en cause l’hypothèse selon laquelle l’éducation est en elle-même génératrice de productivité grâce aux connaissances qu’elle permet de transmettre. En fait, le système éducatif effectuerait un tri des individus les plus doués sans nécessairement accroître une productivité que ces individus doivent avant tout à leurs dons (théorie du «filtre»).

L’éducation et le développement économique

L’idée s’est répandue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale que l’éducation jouait un rôle majeur dans le développement économique. En fait, si les analyses statistiques font le plus souvent apparaître une forte corrélation entre indicateurs de l’économie et de l’éducation, les essais en vue de mesurer la part revenant spécifiquement à l’éducation dans la croissance du P.N.B. montrent l’extrême difficulté d’une telle imputation.

L’éducation n’est pas automatiquement facteur de changement et de progrès. Cela dépend, pour une large part, des finalités assignées au système d’enseignement. À cet égard, un système dont la finalité dominante serait économique (former les individus dans une perspective professionnelle) créerait les conditions autorisant le développement économique. Mais les autres finalités qui conditionnent les attitudes sociales, les aspirations communes en vue de projets communs ne peuvent être négligées. En tout état de cause, l’éducation ne peut que créer un potentiel humain susceptible par sa formation de jouer un rôle positif dans le développement. Ce rôle ne peut devenir effectif que si l’économie est capable d’absorber utilement les individus formés et dans la mesure où les structures de l’économie favorisent la propagation des effets de développement. Il y a là un problème essentiel de complémentarité, de coordination et d’adaptation qui explique l’élaboration progressive d’une stratégie économique de l’éducation.

4. Le système d’enseignement, objet de politique économique

Depuis 1945, la part des ressources nationales consacrées à l’éducation est passée de 2 ou 3 p. 100 du P.N.B. à 5 ou 6 p. 100, de 8 à 10 p. 100 du budget de l’État à 16 ou 20 p. 100 et même plus. Un seuil a été franchi, ce qui a incité à introduire le principe d’économie (rechercher le meilleur emploi des ressources rares) dans les décisions qui, à moyen ou à long terme, gouvernent le fonctionnement du système d’enseignement.

La rationalité des décisions d’affectation des ressources

Une décision est économiquement rationnelle lorsqu’elle concourt au mieux à la réalisation des objectifs fixés. Mais cela ne va pas sans difficultés. Les fins poursuivies étant le plus souvent diverses, il s’agit de rationaliser l’empirisme qui la caractérise, fait de compromis et d’arbitrages.

On s’efforce depuis le début des années soixante d’introduire un état d’esprit scientifique dans les méthodes de préparation des décisions. Envisager l’éducation dans l’optique de l’analyse de systèmes devrait favoriser l’application de telles procédures dans ce domaine. La décision d’affectation des ressources nationales exige une vision d’ensemble ordonnée et hiérarchisée des phénomènes en cause. Les choix doivent pouvoir tenir compte de la diversité des points de vue et, dans le cadre d’un système, les incidences d’une décision peuvent être saisies aux différents niveaux du système: des méthodes ont été conçues, expérimentées et appliquées avec des succès divers en vue de faciliter la préparation des décisions collectives. Ainsi en a-t-il été du P.P.B.S. (planning, programming, budgeting system) et de sa transposition française, la R.C.B. (rationalisation des choix budgétaires), qui, après une vogue de plusieurs années, n’ont cependant pas donné tous les résultats espérés. Des méthodes plus empiriques et plus modestes, visant à dégager à partir de l’observation de ce qui existe des normes susceptibles d’être corrigées (cf. système des normes Garaces en fonction desquelles le ministère de l’Éducation nationale répartit certains crédits et moyens entre les différents programmes de l’enseignement supérieur en France), ont été mises en place. La comptabilité nationale, instrument indispensable aux dirigeants, s’efforce de regrouper ses informations d’une manière plus directement utilisable. Ainsi en France, depuis 1976, dresse-t-on des «comptes satellites», qui regroupent l’ensemble des flux intéressant une fonction pour l’ensemble des agents économiques. Un compte satellite de l’éducation cerne la dépense nationale d’éducation et ses composantes. Il regroupe la dépense d’enseignement proprement dite (activités d’enseignement et acquisition de fournitures scolaires) et le financement d’activités annexes (administration générale, orientation scolaire, bibliothèques, cantines, médecine scolaire, recherche sur l’éducation, ramassage scolaire).

On a également recours aux modèles économétriques ou aux systèmes de relations quantitatives unissant des variables entre elles. Ceux-ci constituent des instruments opérationnels au service des choix dans les limites d’hypothèses restrictives. Ainsi en va-t-il des modèles, faisant appel aux techniques de la programmation linéaire, qui visent à déterminer l’affectation optimale des ressources entre les activités d’éducation et les autres activités de production. Ils éclairent les décisions plus «politiques» en montrant la meilleure voie pour atteindre un objectif donné.

L’adaptation du système aux besoins

Les décisions d’affectation des ressources contribuent à déterminer des objectifs et à préciser les moyens disponibles. Au niveau plus concret de la définition des actions à entreprendre, un instrument général de cohérence et de vision à terme est constitué par la planification de l’éducation. Compte tenu des moyens disponibles, celle-ci doit s’efforcer de rendre compatibles la pleine réalisation des capacités des individus et la nécessité d’utiliser ceux-ci pour la croissance économique.

Demande sociale d’éducation

Dans le cadre des principes d’organisation du système, la planification essaie de prévoir les flux d’élèves qui fréquenteront les différents niveaux et types d’enseignement. Si la prévision démographique présente relativement peu d’incertitude, il est plus délicat de la «sectorialiser» en vue de décider des implantations scolaires, de la formation des maîtres, etc. Des prévisions plus fines et plus aléatoires sont nécessaires pour tenir compte des déplacements géographiques de population et des orientations spontanées de la demande vers tels types ou niveaux de spécialisation en vue d’établir une carte scolaire.

Besoins de main-d’œuvre

Il s’agit de prévoir quelles seront les qualifications qu’exigera l’économie. Cette démarche, qui repose sur l’extrapolation corrigée des tendances passées, soulève de nombreuses difficultés qui tiennent: à l’horizon temporel du plan, étant donné la durée de la formation scolaire; à l’incertitude affectant les prévisions du niveau et de la structure professionnelle future de l’emploi; à la définition de correspondances entre types de formation et types d’activités professionnelles. Ce dernier point, notamment, a suscité des études venant de divers horizons. Ainsi la théorie de la «segmentation» du marché du travail relève qu’il n’existe pas un, mais plusieurs marchés du travail, chacun d’entre eux ayant ses propres règles de relations industrielles et la liaison éducation-salaire n’ayant aucune chance d’être la même dans chacun de ces marchés. Ainsi les sociologues du travail sont-ils conduits à relever qu’il n’y a pas de lien automatique entre qualification de l’emploi, qualification du salarié et classification (donc niveau de rémunération) de ce dernier et que la concordance entre ces trois éléments résulte du rapport de forces issu des stratégies collectives des partenaires sociaux. Si des études nombreuses et importantes ont déjà été menées sur l’adaptation quantitative de la formation à l’emploi, l’adaptation qualitative demeure un domaine encore peu exploré.

La planification de l’éducation à partir des besoins de main-d’œuvre, largement prônée dans les années soixante par des organisations comme l’O.C.D.E. ou l’U.N.E.S.C.O., a connu un échec notoire dans les pays à économie de marché et peut faire l’objet d’un large scepticisme dans le cas des économies collectivistes à plan central. Sa faiblesse est sans doute d’admettre la prééminence du marché du travail sur la sphère éducative et d’ériger en condition le principe d’une correspondance rigoureuse entre les systèmes éducatifs et les marchés du travail.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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